Jazz Magazine N° 407

Edito
Ah, il en prend pour son grade le petit père Miles dans Libération du 10 juillet ! Serge Loupien l’iconoclaste se déchaîne. J’ai même cru, en lisant son texte, m’être trompé de canard. A certains endroits j’ai retrouvé les grandes heures du panassiéisme triomphant avec une jolie touche d’extrême-droitisme anti-américain. Pauvre Miles ! Etre traité ainsi alors que toute sa vie a été l’accomplissement d’efforts contraignants pour se situer dans la marginalité la plus difficile : amant de Juliette Gréco en 1949, obligé donc d’admirer Jean-Paul Sartre, condamné à absorber les drogues les plus dures, se conduisant comme un maquereau avec les dames, raciste exacerbé (côté black), fanatique de musiques exotiques/électroniques originaires du tiers monde, crachant sa hargne à la gueule des superviseurs juifs et siciliens du show-business.
Qu’aurait-il pu faire de mieux dans cette direction ? Sauf à mourir à vingt-six ans comme Fats Navarro ou Clifford Brown ou être retrouvé cadavre décomposé dans l’East River comme Albert Ayler ou se jeter par la fenêtre d’un hôtel comme Chet Baker. Trop tard. Comme beaucoup d’autres il s’est laissé engluer dans les délices du système. Plus il insulte, plus il est adulé, courtisé, engagé et payé. Tragique situation, s’il en est, pour celui qui n’est heureux que lorsqu’il est haï.
Merci, Serge Loupien, de lui apporter un peu de joie. Etre traité aujourd’hui comme un beauf pour festivaliers petits-bourgeois, Colette et Willy de la trompinette, commandant Cousteau binaire, quelle injuste destinée. Que faire ? Abandonner la trompette pour le violon et la flûte du Bangladesh, prendre la codirection avec Ornette Coleman de l’orchestre de Sun Ra, renoncer au compact disc et revenir au 78-tours ? Oui, que faire pour plaire à Serge Loupien ? Je crains tout l’opposé. Après avoir reçu la Légion d’Honneur, il va jouer des clarines dans les arènes de Nîmes pour les corridas des Vendanges, être la vedette de la Fête de l’Huma, interpréter la Marseillaise à l’Elysée et l’hymne américain à l’occasion de l’élection présidentielle du général Schwarzkopf (célébrée à Koweit City bien sûr), puis se fiancer à Stéphanie de Monaco.
Serge Loupien devrait le savoir : ce qui arrive aux musiciens, célèbres ou pas, n’est ni leur faute, ni celle de leurs directeurs artistiques (mêmes lorsqu’il s’agit de Quincy Jones). Le responsable — et il faut en être toujours conscient — c’est nous : le public.
Essayons maintenant d’être sérieux et justes en reconnaissant que Miles continue d’ajouter à l’histoire du jazz des heures passionnantes. En dépit de (ou grâce à) l’environnement qu’il s’est choisi, lorsqu’il joue on retrouve encore l’ancien compagnon du Bird, de Monk, de Coltrane et de Gil Evans. Il gère son passé dans un mode contemporain. Sont-ils si nombreux à réussir cette gageure ? De toute façon, nous ne sommes pas dupes du système. Miles non plus.
Frank Ténot

Sommaire

• p 4 : INFORMATIONS
• p 8 : EN DIRECT
• p 18 : OÙ JOUENT-ILS ?
• p 52 : DISQUES
• p 68 : COURRIER DES LECTEURS
• p 69 : PETITES ANNONCES

Actualités

• p 24 : WINSBERG : UN LOUIS EN HAUSSE
  • Avec une passion tranquille, le guitariste de Sixun a raconté son chemin (Camino) à Frédéric Goaty. (Louis Windberg)
• p 28 : LES AUTRES FACES DE DREYFUS ET CHAMBERLAND
  • Une nouvelle compagnie de disques, des rééditions ; qu’on n’espérait plus. Interview Christian Gauffre. (Yves Chamberland, Francis Dreyfus)
• p 30 : JOE LOVANO : UNE NOUVELLE MARQUE
  • Vient de paraître chez Blue Note : “Landmarks”. Bonne occasion, new-yorkaise, pour faire le point avec le saxophoniste.
• p 34 : NELLY POUGET OÙ LE SAX FORT
  • Entourée de Sunny Murray, Siegfried Kessler et Tony Overwater, une saxophoniste est née — phonographiquement. Interview.
• p 37 : DES LIVRES ET LE JAZZ
  • Les Fables of Faubus de Charles Mingus, la légende de Buddy Bolden, la vie et l’œuvre de Django Reinhardt et toutes les nouveautés de l’année.
• p 42 : GERARD MARAIS... REVE... REVO...JAZZ
  • Entre son disque Katchinas et son prochain concert à la Fête de l’Huma, le guitariste fait le point.
• p 44 : MOUTIN : L’UN PAR L’AUTRE
  • François le bassiste et Louis le batteur ont accepté de s’interviewer l’un l’autre. Entremetteuse : Fara C. (François Moutin, Louis Moutin)
• p 46 : DAVE HOLLAND EN EXTENSIONS
  • Entre Angleterre et Etats-Unis, Miles Davis et Herbie Hancock, Steve Coleman et le reste, autoportrait. Propos recueillis par Dany Michel.
• p 48 : STEVE POTTS, JEAN-MICHEL PILC ET ALAIN DEBIOSSAT
  • A propos de leur premier disque en leader, trois histoires singulières et déjà exemplaires.