La Danse Des Infidèles
Francis Paudras
Editions de l’Instant
Editor | Editions de l’Instant |
Date | 1996 |
Format | Paperback |
Pages | 410 pages |
Location | |
Language | French |
ISBN 10 | 2869290489 |
Link | Babelio |
Dans un monde qui marche trop souvent à l’envers et dans lequel l’échelle des valeurs s’emprunte désormais vers le bas, il est devenu trés difficile de revendiquer une certaine idée de la beauté, méme si traditionnellement elle apparaît comme évidente et légitime. Celui qui préfere la qualité au vulgaire, ce qui est profond au superficiel ou ce qui est grand à l’insignifiant, risque de passer pour un insupportable pur-et-dur. De nos jours, cette étiquelle est péjorative et pourtant, ne la mérite pas qui veut.
Etre pur-et-dur m’apparait en effet comme un privilège qui colle à la peau (qu’elle soit noire ou blanche), grace à une étrange prédestination bien souvent incompréhensible pour le commun des mortels. Des êtres irréversiblement marqués par ce sublime destin comme Amadeus Mozart, Frédéric Chopin, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel, Lili Boulanger, Art Tatum, Lester Young, Billie Holiday, Thelonious Monk, Bud Powell, Charlie Parker, Fats Navarro, Bill Evans, etc., ont payé trés cher leur appartenance au clan exclusif des purs-et-durs, car pour eux, la purée dure !...
Pour Bud Powell, elle dure tout au long d’une existence dominée par un refus catégorique de toute compromission, un refus confinant quelquefois à la violence, afin de protéger une âme éperdue de beauté et un esprit aux exigences intellectuelles absolues. Malgré l’arbitraire, les contraintes et l’hostilité auxquels il se trouva confronté tout au long de sa tragique existence, Bud Powell éclaire de son génie une bonne partie de notre siècle et tous ceux a venir.
Le jazz est arrivé clandestinement en Europe et en particulier en France, comme une bouffée d’air pur pendant une effroyable époque de terreur, de frustration et d’asphyxie intellectuelle. Cette musique fut spontanément ressentie par les hommes épris de liberté, comme un hymne universel d’évasion et surtout de paix. Dans le méme temps aux Etats-Unis, les Noirs luttaient pour leur liberté. Leur vraie révolution culturelle s’imposa précisément à la même époque par une musique classée sous l’étiquette « bebop ». Ultérieurement, le monde des initiés devait en prendre conscience en méditant sur le slogan « Black is beautiful ». Pour ma part, je continue a penser que cette révolution esthétique créée par des Noirs et par Bud Powell en particulier, sera la plus durable et la plus définitive.
Je me suis imprégné de l’oeuvre de Bud Powell toute ma vie et elle m’a procuré mes plus grandes joies. Pendant son séjour en France, j’ai eu le bonheur de le voir jouer journellement, avec l’avantage considérable d’être conscient d’écouter un génie ; conscient aussi qu’un des trésors de la musique universelle se trouvait dans le cerveau et sous les doigts de cet aristocrate de l’esprit. Jamais artiste ne m’avait donné une telle impression d’absolu, d’honnêteté, de total engagement pour l’Art. J’ai la certitude qu’il fut le musicien le plus authentique et le plus pur que j’aie connu. Son humilité aussi était incomparable, il semblait stupéfait quelquefois par l’ampleur du sentiment qu’il venait d’exprimer, apparemment submergé par son propre miracle. Le souffle prodigieux de cette musique fut désormais associé a chacun de mes gestes quotidiens. Je dois à Bud Powell le meilleur de ma vie, le meilleur de moi-méme. Il fut et demeure mon phare, mon garde-fou aussi. Au-dela du message qu’il m’a délivré, il m’a appris à vivre.
Dans son perpétuel combat intellectuel et par sa démarche de révolutionnaire, il apporte une réponse aux exigences et aux revendications légitimes de la jeunesse. L’oeuvre de Bud Powell est à associer à celle des grands maitres classiques. Dans le classement des musicologues, il se trouve arbitrairement enfermé dans le carcan d’un style et d’une époque, alors que sa création est cosmique et intemporelle. Désormais, l’oeuvre de Bud Powell devrait étre enseignée dans tous les conservatoires, au même titre que Bach, Chopin ou Ravel.
Parce que je me sens plutôt du coté des purs-et-durs et aussi parce que Bud Powell fut mon maître et mon ami, je lui ai consacré ce livre dont le propos vise à réhabiliter l’homme trop souvent bafoué et à rappeler qu’il nous a laissé un des plus beaux messages d’amour de toute l’histoire de la musique. Cet ouvrage n’est au fond rien d’autre qu’un cri du coeur.
Francis Paudras